Sculpture, images de synthèse, vidéo et dessin sont les constituants des installations que je réalise.
Construites par attrait des questions de construction et de tenue, mes sculptures témoignent tout d’abord d’une recherche en autonomie. Celles-ci s’ouvrent à une lecture de leurs éléments constitutifs, de l’interne (leur structure) à l’externe (leur apparence), selon une vision proche du souci de l’architecte, tantôt architectonique et incluse, tantôt ornementale et rapportée.
Par ailleurs, les dessins et les images de synthèse, notamment à travers la série « L’éloquence de l’espace », interrogent la question du musée et de l’emplacement réservé à l’œuvre sculptée en organisant au plus précis la figuration d’espaces dédiés fictifs, virtuels.
Certaines des expositions prennent corps in situ, entre autres « Cher Thésée, » réalisé en duo avec Sébastien Hoëltzener au sein des vestiges gallo-romain des Mazelles, à Thésée-sur-Cher en 2014.
Ancienne École
normale d'institutrices,
Commande de la Matmut,
Rouen, Mai 2024
Travail en réponse à un appel à projet de la Matmut :
"École buissonière" 2022
La sculpture est constituée de deux éléments associés.
En partie basse, un tirage en béton d'une figure masculine, tronquée au niveau du bassin, fait support et socle de la partie haute : une fonte de bronze d'une figure féminine en pied.
Par Gabrielle Carron
Ce qui précède, ce qui suit, se pose devant nous comme une énigme.
Nous voici devant l’étrange association de deux corps humains, ou plutôt d’une figure féminine (en bronze) prenant comme socle un tronc masculin (en béton). Leurs grandes enjambées forment des diagonales symétriques qui se répondent, et toute la sculpture respire le dynamisme.
Quelles symboliques peut-on bien lire dans cette œuvre et son titre énigmatique ?
Elle a été pensée par Pierre Feller pour intégrer les espaces extérieurs de l’ancienne École Normale d’Institutrices de Rouen réhabilitée et restaurée par la Matmut. Une école construite entre 1884 et 1887, sous la IIIe République, pour former les futures professeures du pays. S’inscrivant dans une forme de tradition artistique académique, cette sculpture reprend les codes de la statuaire monumentale de la fin du XIXe siècle, époque où fleurissent les commandes officielles pour l’espace public. L’artiste lui-même dit s’être inspiré de la mode masculine de l’époque pour le pantalon et le bas du veston. Imprégnée de la mémoire du lieu, la partie inférieure semble donc incarner le pilier de la tradition, de l’académisme et ancre la statue dans le cours de l’histoire et de l’art. Voilà donc “ce qui précède”.
Et qu’en est-il de “ce qui suit” ?
La figure féminine s’élance depuis le tronc d’un pas déterminé. Ses vêtements et sa coupe courte incarnent la modernité. Elle est personnifiée - à l’inverse du tronc d’homme, allégorique. Cette figure a cependant aussi toute sa part de symbolique : elle pourrait incarner toutes les femmes formées dans cette École Normale, ou encore de manière plus générale, la mise en mouvement de l’éducation des femmes depuis le XIXe siècle - rappelons que la première école professionnelle pour jeunes filles date de 1862. Elle s'inscrit ainsi dans un contexte historique et social chargé, faisant écho à l'histoire de l'éducation, de l'émancipation des femmes et de l'évolution de nos valeurs sociétales.
Le titre nous parle d’un rapport au temps, avec tout ce qui a précédé et tout ce qui suivra.
Et qu’en est-il de “ce qui est”, aujourd’hui ? Par sa présence imposante et ses symboliques cachées, cette sculpture s'affirme comme un point de repère visuel et conceptuel dans le paysage : ses matériaux pérennes l’installent dans le temps long. Ce qui précède, ce qui suit, nous invite à observer le passé sur lequel se construit le futur en marche, tout en s'insérant dans notre présent, ici et maintenant. Comme toute sculpture extérieure, elle va vivre dehors au gré des changements météorologiques et le temps va déposer à sa surface les souvenirs de son passage. L’essence même de la sculpture est là : lorsque deux matières inertes comme le bronze et le béton sont modelées et agencées par les mains du sculpteur, elles prennent vie et nous parlent imperceptiblement de la fugacité du temps. Elles capturent l’instant. La sculpture va ainsi progressivement se nourrir de tous les enjeux du présent, en perpétuelle évolution, et pourra donner lieu à de nouvelles interprétations. Tout le paradoxe est là : l’art du sculpteur figure ce qui nous semble infigurable, il pétrifie ce qui ne peut être figé.
Télécharger le texte de Gabrielle Carron : Pétrifier_le_temps.pdf
Galerie Exuo, Tours,
Novembre 2021
Travail en duo avec Mélissande Herdier (dessins).
Un texte de poésie sonore a été commandé à Axelle Glaie (extraits ci-après).
Notre proposition consiste en la mise en commun d’un travail de dessin, et d’un travail de sculpture.
Les dessins de Mélissande Herdier nous montrent des nuées, mais aussi autant d’amas ou d’agrégats d’astres. La technique de bains et de dépôts successifs de poudre de graphite employée pour les réaliser renvoie à l’émulsion photographique argentique. Les dessins se font chambre noire, ils sont le lieu d’une captation et d’une révélation sensible de fictions d’espaces et d’entremêlement de l’artificiel et du naturel.
Les sculptures se présentent comme des constructions auxquelles s’accroche pour l’une d’elles une spirale à l’image des parkings à étage. Ces constructions/ouvrages d’art sont indistincts des socles qui les supportent. Ici, figuration et présentation ainsi s’entremêlent.
On comprend qu’ensemble, dessins et sculptures forment un paysage qui n’est pas sans rappeler la situation urbaine à proximité de l’espace d’exposition. Ce moment de la ville, proche de l’autoroute et néanmoins résidentiel, est l’espace d’une tension. Signe de l’équation collective actuelle, elle est une contradiction que l’on se refuse à résoudre.
Château d'Usson,
Maison du patrimoine
du Donezan, Quérigut,
Juillet 2021
Anamnèse est une installation en duo avec Sébastien Hoëltzener. Nous répondions à un appel à projet qui nécessitait une monstration de nos travaux communs et personnels.
Nous avons choisi de montrer les Pièges, grilles de bétons assemblées en cubes et précédemment exposés à Argenton-sur-Creuse en 2015. Disposés dans les vestiges cathares du château d’Usson, les Pièges accompagnaient la déambulation des visiteurs au sein du site et en regard du paysage.
Une seconde pièce a prit place dans ce qui était la salle de la citerne du château : Les Bobines. Elles conjoignent deux éléments d’un travail précédent, deux des cônes que nous avions exposés à Chatellerault en 2019 pour l’exposition Méditations mécaniques. Ils étaient regroupés ici et gardaient l’entrainement d’une ficelle colorée entre eux, tout en voyant leur base être maintenue par un lien de caoutchouc.
Enfin, une projection vidéo dans une salle dédiée permettait de visionner Palmyre (2016).
Maison Descartes, Châtellerault
Juin — septembre 2019
Travail en duo avec Sébastien Hoëltzener.
Méditations mécaniques prend place à la Maison Descartes à Châtellerault. Par cette exposition, nous nous sommes préoccupés de montrer la configuration effective de l’expérience artistique actuelle. Ce faisant, nous proposons un dialogue discret et amusé entre les conventions utiles à la réception et les particularités de notre travail de sculpture.
Le visiteur déambule parmi les œuvres ; les sculptures se combinent selon l’agencement et la destination des différents espaces : salles et jardin. Ainsi chaque sculpture attend la suivante pour trouver son dénouement.
L'œuvre d'art est ici identifiée comme appartenant au bagage culturel commun. Nous déclinons ses motifs qui se distinguent alors selon des jeux d’échelle, des variations de matière.
Dans le salon, une « colonne sans fin » faite de trois jarres, tourne sur elle-même lentement. Un mur en T est entouré de trois cônes de signalisation en plâtre et une ficelle circule, tendue entre-eux comme un cordon de sécurité devenu mobile. Des grilles, une corde et un morceau de cire d’abeille s’adossent aux murs et le quadrillent. Ces installations sont l'interprétation d'un vocabulaire issu de représentations gravées des Principia Philosophiæ, dans lesquelles Descartes élabore sa théorie des tourbillons (1).
Par ailleurs, dans la cuisine, au sein d’une scénographie audio-visuelle déjà présente sur le site, nous retrouvons la figure de la colonne. Cette fois ce sont des pots de fleurs superposés sur des tournes-disques qui forment des constructions précaires tournoyantes. Disposés dans un « bac à sable » l'ensemble évoque la cuisine du philosophe, chantier où s’élaborent théories et concepts, spéculations naissantes.
Enfin, dans le jardin, un « Sol LeWitt » au quadrillage cartésien, réalisé selon les même techniques que nos grilles du salon, se trouve accroché comme une treille pour recevoir la végétation. Une structure en béton armé présente la forme d’une jarre, sur le modèle de notre colonne. Mais la situation de cette sculpture, près d’un banc et dans la cour, l’apparente au mobilier de jardin public, à une poubelle factice. Enfin, la Carte du tendre, un panonceau signalétique composé d’une grille, reçoit des cadenas d’amoureux, selon un usage culturel observé sur le pont des Arts à Paris, carrefour symbolique des grands musées.
Le spectateur est appelé à déambuler dans l’exposition, et cette déambulation mime et accompagne le cheminement de pensée. En effet, avec Descartes, nous postulons que « la compilation des phénomènes donne à l’entendement un point de départ à partir duquel celui-ci peut rendre raison de ce qui apparaît » (2). Il trouvera dans l'usage et la perturbation des motifs canoniques de la sculpture un renvoi malicieux à l’horizon du bon usage de l’art, inscrit dans le milieu du patrimoine.
Travail en duo avec Sébastien Hoëltzener.
(1) À ce sujet, on consultera Élodie Cassan : « Les tourbillons de Descartes », paru dans Alliage, n°65 - Octobre 2009, Les tourbillons de Descartes, mis en ligne le 30 juillet 2012, URL : http://revel.unice.fr/alliage/index.html?id=3369.
(2) Ibid. paragr. 11.
Vidéo, 2'40",
images de synthèse,
fév. 2017
Une installation de vidéos juxtapose les différents dirigeants du G20, tel qu’il était constitué en avril 2016, date de début du projet.
Les vingt vidéos présentent les dirigeants comme passagers d’une voiture, qui passe devant nous, vitres relevées, dans un même mouvement d’extrême ralenti.
Pour chacun d’eux la même situation se répète.
Ces vidéos sont faites en images de synthèse. Je procède au détourage et à l’incrustation d’une photographie des politiciens dans un essemble modélisé sur ordinateur.
Le mouvement révèle partiellement cette facticité en faisant apparaitre la planéité des images.
Un effet de distance temporelle s’établit immédiatement, du fait des changements politiques survenus depuis 2016.
La pièce s’ennonce datée et renvoie à une période historique et politique proche et pourtant en grande partie révolue.
Le hors-champs occupe une place importante qu’il revient au visiteur d’éprouver selon sa mémoire et son expérience.
Il en va de même de la possibilité de débusquer le caractère factice des images et cette faculté critique du spectateur renvoie aux facultés de réception critique du discours politique.
G20, VIDÉO, |
Centre d'Art des Rives, Saint-Avertin
Jan. — fév. 2019
L’exposition postule une articulation de la simultanéité des vues, de la pluralité de nos rapports au monde extérieur. Au-delà des moments historiques qui adviennent ici comme aux antipodes, je me demande quelle est la forme constitutive de notre point de vue sur ce théâtre des événements. J’ai déparé mes propositions des circonstances et des faits qui les ont initiés. C’est donc une construction plus ténue, un contour moins bruyant qui prend place. Il reste le lieu ou l’on se tient, la bordure d’où l’on voit se lever le monde.
L’installation est constituée d’une charpente qui inclut deux seuils par lesquels il est possible d’entrer et de sortir, comme dans une maison. À chaque pignon se trouvent un ordinateur et son écran. À l’Est, l’ordinateur diffuse en boucle la vidéo d’un soleil en image de synthèse qui se lève ; à l’Ouest, d’un soleil qui se couche. Le rythme circadien est accéléré et les levers et couchers se succèdent lisiblement. Charpente et vidéo présentent les mêmes caractères, tout à la fois de convention et de fiction.
La figuration d’un habitat inclut ici la télé-vision, qui permet de “voir au loin”. L’image diffusée est celle d’une représentation du monde en mouvement, le soleil au-dessus de la Terre. Enfin, il est possible de déambuler au travers et autour de la pièce (1) ; les regards aussi traversent librement.
Comme Mark Wigley (2) l’écrit, la vie quotidienne ne se trouve pas être isolée des effets de la société, de sa violence, comme en dehors des limites historiques ou idéologiques. Si le privé par définition isole l’espace de la vie domestique vis-à-vis du domaine public, la pensée qui organise la société (et notamment la pensée qui organise sa violence) n’est pas loin de la logique de la vie quotidienne. La violence publique est aussi privée, c’est à dire domestique.
Or, dans une salle à proximité immédiate, la vidéo en images de synthèse Palmyre (2016) est diffusée. Elle renvoie à la situation du site historique et de la ville en Syrie, sujettes des assauts militaires successifs des différents protagonistes du conflit.
1. Tim Ingold, Faire anthropologie, archéologie, art et architecture, 2017, p. 186 : « Les espaces d’habitation ne sont pas immédiatement donnés par la configuration d’un édifice, mais ils sont d’abord créés par le mouvement. […] Nos expériences les plus fondamentales en architecture sont de forme verbale plutôt que nominale. Elles consistent, comme le dit Juhani Pallasmaa, non pas en des rencontres avec les objets (la façade, le cadre de la porte, ou de la fenêtre, la cheminée…), mais en des actes consistant à s’approcher ou à entrer, à regarder vers l’extérieur ou vers l’intérieur, ou à ressentir la chaleur d’un foyer. »
2. Mark Wigley, “La maison de Heidegger”, Exposé n°4, La Maison - volume 2, éd. HYX, 2003, p. 44.
PALMYRE, VIDÉO, |
Artboretum, Argenton-sur-Creuse
béton armé, voile de ravalement
avril — mai 2015
L’exposition Les Pièges consiste en une variation de sculptures modulaires qui mêlent les vocabulaires de la construction et de l’architecture à travers leurs deux matériaux de constitution : le béton armé et le voile de ravalement de façade.
L’installation invite à une déambulation physique enrichie de points de vue différents : échelonnée, la série de sculptures module une spatialisation du lieu d’exposition et ouvre à une fiction contemporaine (dessin/tracé incluant une critique).
Un rapport formel (béton ajouré) et géographique (orientation des éléments) s’établit entre les sculptures et le bâtiment dans sa configuration actuelle.
Tenue dans un ancien moulin, la déambulation tient en éveil constant la conscience d’évoluer au-dessus de la Creuse.
Travail en duo avec Sébastien Hoëltzener.
Site archéologique
des Mazelles, Thésée
Mai - septembre 2014
Cher Thésée, est une exposition réalisée avec Sébastien Hoëltzener en 2014 au sein des vestiges gallo-romains du site des Mazelles à Thésée.
Là-bas, l’ensemble des propositions édifie un discours qui, apposé aux vestiges, tend à s’y associer en brouillant le moins possible la perception de leur état actuel. Chacune des propositions complète le site d’images dédiées : autour de chaque sculpture ou agencement la mémoire de cheminement est convoquée.
Les ruines des Mazelles, vestiges du monde Gallo-Romain, nous renvoient à un passé lointain que nous perdons de vue. Toutes les fonctions originelles des bâtiments, d’ailleurs, ne nous sont pas totalement connues. À parcourir le site sans interprétation fouillée, on comprend immédiatement que Tasciaca était un complexe d’activités important. Il nous reste de grandes traces dressées, qui conservent l’aspect monumental de ce que fut cet ensemble si singulier. Ces ruines, enfin, ne peuvent être vues sans que l’imagination se presse à en reconstituer les manques.
On s’y promène.
Les matériaux sont secs, de la pierre calcaire, des rangs de briques, des trous de boulins, des percées, et puis il y a le fait étonnant (d’un point de vue plastique) qu’en général la matière tombée est absente. Aucune sculpture, aucune colonne, aucune ornementation ne vient troubler la franche géométrie des implantations. Il ne s’agit pas d’un monument commémoratif, la part restant aux symboles, hors-mis tout ce qui renvoie à l’âge vénérable de dix-neuf siècles, est réduite à égale sécheresse. Partout, seulement des rythmes d’assemblage, de creux ou de pleins et des brisures de cadence. Les plans verticaux, bien que traversés de déchirures énormes, conservent de façon plus que lisible toutes les dispositions de la construction originelle.
De la part de sculpteurs, la volonté d’investir de tels lieux n’est évidemment pas neutre : elle va bien sûr considérant inévitablement avec ces murs la charge historique qui d’emblée déterminera des conditions très particulières de regard. Malgré cette prégnance, en considérant l’épure, il y a un état des lieux simplement factuel avec lequel doit s’établir la négociation plastique.
En tant qu’incomplets, les pans de murs sont inutilisables, à découvert sous le ciel, ils ne peuvent plus servir d’abri. Ce qu’on ne peut dès lors considérer d’un point de vue fonctionnel comme une architecture peut assez sereinement être converti en valeurs d’ordre sculptural.
Dès lors, on considèrera deux parts en tension dans le projet de Thésée dont aucune n’est prépondérante et qui doivent se conjoindre à la réalisation.En incorporant des propositions contemporaines au milieu d’un complexe de murs construits selon des techniques d’assemblages très anciennes, il est autant question d’une recherche de dialogue avec un passé considéré comme éloigné de nos regards, qu’avec la part matérielle et proprement plastique d’un site très spécifique.
Enfin, le choix de ruines antiques décrit un positionnement particulier pour des sculpteurs d’aujourd’hui, notamment vis-à-vis des pratiques considérées de l’art contemporain qu’on dirait seulement soucieuses d’impacts éphémères et sans danger dans les vitrines de la culture ou les musées. Et en effet, selon nous, les problématiques, à tort ou à raison à la mode, esquivent trop opportunement certains « lieux » de la pensée.
Sébastien Hoëltzener.
L’intervention a donné lieu à la mise en ligne
d’un site internet dédié : www.cherthesee.com
Les particularités et la situation de l’Ara Pacis sont à l’origine d’un ensemble de pièces composé d’images de synthèse, de dessins et de sculptures.
Comme une intrigue que je me plais à mettre en mouvement, entre ces pièces et l’antique se crée une conversation et à l’unisson elles déplient un regard sur la muséographie, l’architecture et la sculpture.
En 13 av. J.-C. l’empereur romain Auguste revient d’Hispanie et de Gaule. En hommage à ses conquêtes et à la paix retrouvée le Sénat fait construire en 9 avant Jésus-Christ l’Ara Pacis Augustæ : l’autel de la paix d’Auguste, sur le Champ de Mars à l’entrée de la Rome antique. (1)
Dès le IIe siècle, la nature alluviale de la région contribue à l’enfouissement, puis à l’oubli de l’Ara Pacis Augustæ. Morceau par morceau cet autel sera retrouvé entre le 16e siècle et le 19e siècle, les pièces seront dispersées entre collections privées et musées (notamment au Vatican, à Florence, à Vienne, et au Louvre). Il sera reconstitué en 1937 et le pavillon qui l’abritera sera inauguré, dans un geste fasciste, par Mussolini à l’occasion du bimillénaire de la naissance d’Auguste.
Dans les années 90 la vétusté du pavillon, mal rénové au sortir de la guerre, pousse la municipalité à commander un musée aux critères de conservation modernes. L’architecte nord-américain Richard Meier livrera en 2006 l’actuel Museo dell’Ara Pacis.
Quels sont les enjeux ici et pourquoi choisir l’Ara en particulier ? Est-ce le rapport du sculpteur à l’antique ? Pourquoi travailler sur une documentation, un monument – certainement l’un des plus discuté et illustré de l’art romain – dont chaque ouvrage qui traite d’Auguste ou de l’ère augustéenne y fait référence ?
Peut-être pour s’interroger sur la façon dont l’art sert l’expression du pouvoir selon ses bonds et rebonds. Comme lorsque l’empereur se divinise à l’instar de son oncle. Comme lorsque le Duce appuie ses vues politiques sur une interprétation restreinte d’une Rome antique dont il ne retient que l’autoritarisme. Ou enfin, plus démocratiquement, lorsque les édiles offrent un bâtiment blanc-Pritzker à leur ville, mais laissent une autorité muséale tout aussi bien organiser une exposition in situ de Brian Eno et Mimmo Paladino (2) qu’un évènement automobile dans ses murs. (3)
Choisir pour sujet le contexte de l’Ara Pacis me permet d’inscrire l’antique, la muséographie et l’architecture aux prémices du travail. De la même façon la Marie-Madeleine de Gregor Erhart est à l’origine de Garden, une sculpture que Richard Deacon a pu exposer à sa proximité immédiate. (4)
Partant de cette sphère d’expérience, il s’agit de nouer continûment les pièces les unes aux autres, de faire en sorte qu’elles s’influencent et déploient un espace particulier.
Enfin, il s’agit aussi d’un rapport à l’affect. Les figures présentes dans l’antique et visibles sur l’Ara Pacis ne valent pas (plus) per se. Dès lors elles n’ont de sens et ne retrouvent une raison d’être qu’à travers une relation sensible. C’est là que l’on peut ouvrir le travail à des figures passées, des traces historiques et faire de son travail un espace qui n’est ni un support fixe, ni un contenant, mais un champ qui se transforme en détachant des figures et est, en retour, modifié par elles (5). En ne réifiant pas le contenu de la visite au musée, comme la carte postale le fait si bien, on lui permet d’être vivant.
1. d’après André Aymard et Jeannine Auboyer, Histoire générale des civilisations, Tome II, Rome et son Empire (3e édition), Paris, P. U. F., 1959. 2. Brian Eno et Mimmo Paladino, Opera per l’Ara Pacis, Musée de l’Ara Pacis Augustæ, Rome, mars - mai 2008. 3. Michel Guérin, L’Espace plastique, La part de l'œil, 2008. |
3. Presentazione Belumbury Dany at the Ara Pacis Museum, Musée de l’Ara Pacis Augustæ, Rome, décembre 2010. 4. Richard Deacon, Garden, 2007, dans l’exposition Contrepoint III – De la sculpture, Musée du Louvre, Paris, 2005. |
Statique est un ensemble de propositions présenté en mars 2013 au Centre Chorégraphique National d’Orléans.
Les pièces partagent les mêmes techniques de fabrication (moulages de mortier alumineux armé) mais s’opposent dans leur mise en œuvre.
Huit fenêtres, deux structures rectilignes, sont adossés au mur, tandis que Ce n’est pas qu’il n’y a pas de fin, deux sculptures aux circonvolutions « style nouille », tiennent par elles-même.
À cela s’ajoutent deux œuvres graphiques qui se font face : un dessin figure une sculpture en spire, elle apparaît comme une troisième pièce possible pour l’exposition, et une image de synthèse présente une exposition dans un lieu fictif, un grand hall au sein duquel une sculpture en colonne profite d’une lumière venant d’un mur vitré construit par tenségrité.
Les questions de tenue et de construction présentes dans les sculptures et les images forment une lecture possible des rapports d’une pièce à l’autre.
CRÉDITS IMAGES :
Pierre Feller,
Sébastien Hoëltzener,
Charlotte Oudot (Cher Thésée,)